Historique

Quelques repères

La présence d’hommes comme Émile Gallé, le verrier, ou de Charles Keller, ingénieur civil et ancien communard, fait l’originalité de l’Université Populaire de Nancy, « Temple de la Pensée Libre ».

Dreyfusards, protestants,  juifs, souvent nancéiens de fraîche date, venus des provinces d’Alsace et de Lorraine, tous faisaient partie de milieux minoritaires dans une Lorraine catholique et traditionaliste, mais dont la plupart des membres appartenaient à la bourgeoisie aisée, voire fortunée, mais tout à fait isolée. Le mouvement syndical, pour sa part structuré, défendant farouchement son indépendance vis-à-vis du politique, eut à souffrir de l’affaire Dreyfus.

La maison du peuple fut inaugurée en 1902, pour accueillir l’Université Populaire de Nancy.

Elle fut inaugurée en 1902 pour accueillir l’Université Populaire de Nancy.

C’est à cette époque qu’un groupe d’individus, marqué par l’Affaire décida d’agir par la culture. À ce souci d’initier les ouvriers à la méthode scientifique pour en faire des citoyens conscients, ils ajoutaient celui de prendre en compte « les questions économiques et sociales pour introduire dans les rapports plus de générosité » allant jusqu’à affirmer que « l’éducation est le premier et le dernier mot de toute politique de progrès social ».

Pour commencer, ils mobilisèrent les personnalités du noyau dreyfusard. C’est ainsi que l’Université Populaire fut créée en 1899. Le docteur Bernheim accepta la présidence, Gallé et Keller firent partie du comité, et de nombreux universitaires, souvent déjà engagés, acceptèrent de faire partie du conseil d’administration ou d’intervenir au titre de conférenciers.

Il faut souligner que dans une ville universitaire comme Nancy et étant donné le réseau de relation des dreyfusards, les problèmes des conférenciers ne furent jamais difficiles à résoudre.

En revanche, celui du local se posa rapidement d’une façon aigüe. L’université Populaire avait trouvé refuge dans un immeuble situé 8 rue Montesquieu. À la suite de plaintes des voisins,  relayées par une campagne calomnieuse de l’Est Républicain, les propriétaires résilièrent le contrat qui les liait à l’Université Populaire.

Charles Keller décida alors d’acheter, avec ses deniers propres, une maison Rue Drouin pour abriter l’ensemble des activités de l’Université Populaire. Comme l’immeuble était vétuste, il le fit raser, et l’on peut dire que c’est le clan Keller/Gallé qui se mobilisa pour édifier un cadre digne de leur idéal.

L’architecte Paul Charbonnier fut chargé de la conception générale de l’édifice. Il s’assura, à la demande de Charles Keller, la collaboration des deux artistes les plus connus de l’École de Nancy : Eugène Vallin et Victor Prouvé. Le premier se vit confier la réalisation de la porte d’entrée et des motifs ornementaux des vestibules et des consoles intérieurs. Victor Prouvé, pour sa part, accepta de sculpter les deux sujets de la façade, destinés à symboliser l’alliance du Travail et de la Pensée.

Conformément à l’image de l’ouvrier qui s’était peu à peu imposée dans la production artistique de la fin du X1Xème siècle, c’est par un athlète, en  l’occurrence un forgeron, qu’il représenta le travail manuel. Mais loin d’être simple valorisation de la force brute, cette image, associée à celle aérienne et vaporeuse de la pensée libre, voulait affirmer que l’effort physique n’était pas incompatible avec celui de l’esprit, et que le savoir pouvait être partagé par tous. Notion plus audacieuse qu’il n’y paraît à une époque où le partage démocratique de la culture n’était guère envisagé au-delà de l’école de Jules Ferry.

D’une façon générale, on peut dire que l’ensemble de cette réalisation relevait d’une démarche que l’on pourrait qualifier d’avant-garde. Émile Gallé, Charles Keller, comme leur entourage, était en effet convaincu que l’Art comme le Savoir pouvaient être mis à la portée de tous.

Ils défendaient la conception d’un Art Populaire destiné à éveiller chez tous le sens de la beauté.

Après les élections de 1898, un écart séparait la démarche des militants ouvriers de celle des dreyfusards. Pourtant, on vit apparaître dans les programmes et compte-rendu de l’Université Populaire les noms des militants les plus connus. Faut-il en conclure qu’ils étaient en accord avec les objectifs de l’Université Populaire ? Ils jugèrent sans doute nécessaire, devant l’activité déployée par les « fraternités » catholiques, de faire bloc avec ceux qui se proposaient de combattre leur influence, et ils ne furent certainement pas insensibles à la possibilité de toucher de vastes auditoires ouvriers.

Peu à peu, par leur forme et leur contenu, les conférences se révélèrent mieux adaptées à une petite bourgeoisie républicaine et anticléricale, avide d’éducation et de promotions sociales, qu’à un public ouvrier qui ne disposait ni de ses loisirs, ni vraisemblablement de ses aspirations. Cela ne signifie pas que les ouvriers se détournèrent de la »Maison du Peuple ».

S’ils boudaient les conférences savantes, ils prirent rapidement l’habitude de fréquenter la Rue Drouin. Ils s’y retrouvaient à l’occasion de fêtes comme celle du 1er mai 1902, organisées par leurs soins, ou dans le cadre des activités des différents groupes auxquels ils appartenaient. La plupart des syndicats prirent l’habitude d’y tenir leurs réunions.

L’alliance du travail et de la Pensée se réduisait de plus en plus à une froide cohabitation, mais en revanche la Maison du Peuple devenait un véritable foyer de sociabilité ouvrière.

En 1907, lorsque la Fédération des syndicats fut expulsée des locaux de la rue Clodion par la municipalité de droite conduite par Beauchet, le comité de l’Université Populaire accepta provisoirement de l’héberger rue Drouin. Il finit cependant par obtenir son départ sous prétexte de respecter le principe de neutralité politique inscrit dans les statuts. Cette manœuvre ne fut certainement pas du goût de Charles Keller. Deux ans plus tard, lorsque le comité envisagea pour essayer de retrouver un nouveau public, de créer une fédération de groupements démocratiques, Charles Keller consulté en tant que propriétaire des locaux, posa très fermement ses conditions. Les Sociétés adhérentes devaient s’engager :  « à continuer la tradition qui, par ordre d’inscription, met les salles de réunion de la Maison du Peuple à disposition des groupements à tendance avancée, notamment les associations qui, en raison de leur hardiesse d’opinions, ne trouvent pas d’accueil dans les salles de réunion de Nancy, détenues par les réactionnaires, à ouvrir cette salle aux ouvriers en grève, pendant le jour, et le soir, si elle n’a pas été retenue d’avance par un groupe. »

C’était en fait condamner le projet. Le comité en prit acte, et décida de remettre les locaux entre les mains de leur propriétaire, à l’exclusion de la bibliothèque, Charles Keller accepta et les proposa aussitôt à la Fédération des syndicats qui n’était pas encore parvenus à mettre des locaux indépendants à disposition des organisations ouvrières.

Le bâtiment est légué en 1923 par la veuve de Charles Keller à la C.G.T.